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    2 amis

     

    Sur la rive gauche, venu de la chine lointaine, l’arbre des pagodes sourit depuis des décennies au tilleul européen, situé presqu’en face, sur la rive droite. Ils occupent des lieux sensibles : le premier, l’ancienne bibliothèque, lieu d’apprentissage et de connaissance. Le second, planté dans la cour d’une ancienne école de jeunes filles, aujourd’hui académie de musique. Ils sont beaux, ils sont jeunes, ils s’apprécient mutuellement. Car ils se parlent depuis très longtemps, poursuivant une conversation subtile qui anime et purifie l’air, embellit le monde visible et invisible sous le soleil de la ville. Le Sophora Japonica étale une large ramure face à Tilia Européa*, qui n’est qu’un tronc s’épanouissant en une couronne inhabituelle.

     

    Causeries au sommet

    Causeries au sommet

    La voix : vous ne vous sentez pas un peu seuls ici ; loin des vôtres ?

    Tilia et Sophora : Nous sentir seuls ? Quelle drôle d’idée. Nous avons beaucoup d’amis, dans les airs, sur la terre, dans le sol. Certains mêmes s’installent au creux de nos branches pour y vivre. Et il y a aussi tous les arbres de la ville et de la région. Et les astres, qui sont aussi intiment liés à notre existence. Ne nous confondez pas avec du mobilier urbain, nous sommes des êtres vivants, reliés à tous les nôtres

    Et les humains ?

    Ah les hommes, les femmes ; quels êtres redoutables ! Leurs regards nous nourrissent. Qu’ils soient indifférents ou passionnés, ils nous vont droit à l’âme. Ils nous blessent rarement. Nous les regardons : ils ramassent fruits et fleurs occasionnellement, s’installent à notre ombre mais souvent  hélas, trop souvent, que de vacuité en leur esprit, que d’indifférence. Les sombres lueurs qui émanent d’eux nous étonnent souvent : Auriez-vous oublié la joie ?

    La voix  : si vous le permettez, je pose les questions. Vous ignorez nos poètes et nos cœurs qui savent aimer les arbres ; nous ne vous vouons plus de cultes mais lorsque nous sommes en votre compagnie, nous pensons souvent, comme le dit Victor Hugo que « dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois, dans votre solitude où je rentre en moi-même, je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime !

    Nous ignorons la poésie puisque nous sommes poésie. Et nous ne faisons pas de phrases, ce n’est pas notre genre.

    De quoi parlent tout au long du jour un Chinois et un Européen ?

    Les arbres, d’une seule voix étonnée : Qu’est-ce à dire ? Nous ne sommes pas originaires de galaxies opposées et lointaine ni d’un monde étriqué ! Nous avons la terre entière en commun et cela suffit pour se connaître et se parler tout au long des jours et des nuits. Nous chantons l’eau, la vie, le soleil, le monde, nous chantons mêmes les humains. Nous parlons d’amour surtout, et nous nous chantons des chansons

    Vous chantez ?

    Mais oui ! Pourquoi pas ? Et là où nous sommes, nous apportons équilibre, beauté, douceur, merveille. Vous êtes encore loin de nous connaître.

    Mais comment faites-vous pour communiquer ? Est-ce que le vent y est pour quelque chose ?

    Le vent oui, et notre chant personnel, car nous avons nos voix, et notre nature intrinsèque, faite de générosité, de gratuité. Nos parfums, la fragrance de nos feuilles, fruits et écorce s’envolent vers l’univers. Nous partageons nos ressources communes, nous communiquons sur l’état de l’air et du sol, de la lumière et du vent, de l’eau du ciel et de la terre.

    Est-ce que vous nous voyez ?

    Oui, bien sûr, nous voyons vos formes, les émissions d’énergie que vous projetez et ce n’est pas toujours joli joli. Nous vous voyons d’autant mieux que vous vous intéressez à nous, individuellement j’entends.

    Les humains ne sont toujours pas tendre avec vous n’est-ce pas ? 

    L’arbre des pagodes : il est vrai. Regardez-moi, ma canopée a été sauvagement rétrécie, j’ai l’air malingre mais je porte beau encore

    Et vous Tilleul, vous avez une drôle d’allure tout de même

    Oui, je suis un tilleul tige ! On m’a adapté à la ville. Oh, je n’en suis pas fâché, j’ai une silhouette unique, remarquable… même mon ombre m’est suffisante !

    Qu’est-ce qui vous dérange dans la ville ? Est-ce que nous vous dérangeons ?

    Vous nous affectez quand vous polluez, nous coupez des branches, nous étouffez sous du bitume et nous environnez de bruit. Nous percevons avec acuité tous les contacts directs que vous avez avec nous car pour le reste, vous l’aurez compris, nous ne vivons pas vraiment sur le même plan que vous. Mais bien entendu, quand vous nous contemplez, nous vous contemplons également.

    Mais c’est la 4ème dimension !?

    Ployant sous d’étranges soucis, vous n’y pensez jamais vraiment, mais vous nous ressemblez puisque, comme vous, nous vivons dans plusieurs dimensions ; en 3 lieux tout d’abord, terre, air ciel et dans une quatrième, que vous qualifieriez de mentale ou spirituelle mais qui pour nous est énergétique et cosmique.

    Que vous faudrait-il pour mieux vivre en ville ?

    Quelques concerts harmoniques nous feraient le plus grand bien car les bruits souvent hostiles de la cité nous heurtent, ralentissent la circulation du protoplasme dans nos feuilles qui jaunissent et tombent hors saison. Or nous avons besoin de toutes nos feuilles en saison de production. L’eau du sous-sol est sale, il nous faut doublement la filtrer et… mais bon, nous nous adaptons bien sûr. Nous sommes conçus pour résister.

    Quels sont vos pouvoirs ? Nous êtes-vous utiles ?

    Le tilleul et le sophora en chœur : Comment cela ? Utiles ?

    La voix : oui ! Avez-vous des vertus médicinales ou nutritives qui peuvent nous servir ?

    Le tilleul : ah oui, je vois :  il vous faut toujours de l’aide pour être mieux, être plus beau, mieux digérer, etc… Bref. Vous connaissez les vertus de mes fleurs, de mes feuilles…

    Le sophora : les anciens les connaissaient, mais ici ils semblent plus ou moins ignorés. Je suppose, je l’espère du moins pour vous que vous avez trouvez mieux contre la fièvre, ou les rhumatismes… Nos fleurs sont très mellifères - on nous surnomme arbres à miel - produisent beaucoup de nectar et sont comestibles. Parfaitement, les femmes en font des beignets.

    Quel âge avez-vous ?

    Oh ! Nous occupons votre temps depuis maintes décennies. Nous ne voyons pas comme vous passer le temps et ne comptons pas en durée. C’est plutôt le temps qui nous contemple. Car nous vivons dans l’éternité. Et nous pouvons vivre des centaines d’années si on nous laisse tranquilles. Ce que vous appelez temps est certes une énergie qui nous nourrit ; qui nous transforme par circularités continuelles, nous élargit et nous grandit. Mais il n’y a pas de notion de durée dans notre conscience, mais dans la vôtre. Vous nous reconnaissez en années, et vous étonnez de notre longévité.

    Euh, nous faisons ce que nous pouvons...

    Le tilleul et le Sophora : Oui oui, vous pouvez, c’est vrai. Il faut continuer ! En aparté - Ils s’interrogent beaucoup sur nous en ce moment :  on se demande à quoi leur servira leurs petites découvertes !

      

    Causeries au sommet 

    Causerie au sommet 

    Causerie au sommet

    Causerie au sommet

    Causerie au sommet

    Causerie au sommet

    Causerie au sommet

    Causerie au sommet 

    Causerie au sommet

     

    Causerie au sommet

     


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    Fleurparger pour survivre ?

    Les bourdons bourdonnent de nouveau, les lézards baguenaudent sur les murs, les abeilles plongent leur tête dans les corolles, et le soir, les crapauds chantent à qui mieux mieux. Tout le monde est dehors. Tout le monde vit pleinement sa vie d’être vivant. Sauf nous, qui, n'étant bornés par aucun instinct déterminé, pouvons choisir de nous comporter en moutons terrorisés par les cris de nos dirigeants, de chérir et même de défendre notre peur, libres de refuser d'être des êtres debout. Et de rester enfermés dans nos maisons qui deviennent désormais des prisons. Pourquoi pas ? On s'occupe si bien de nous.

    D'ailleurs, dans sa grande mansuétude, le législateur machin nous autorise une heure de sortie par jour, sur justification de notre propre existence administrative dument datée et signée tout de même. Sortons donc, et profitons en pour en apprendre un peu plus sur ce que nous pourrions être. Et qu’on ne vienne pas nous parler de résilience et du verre à moitié plein. Ou de droits à ceci et à cela ! Il n’y a plus que le droit à la trouille qui tienne. Gardez cela pour les vaincus. Nous ne tolérerons que les discours triomphants, les attitudes pleines de gloire, les démonstrations par la beauté, la certitude d’être là où il faut, sans place assignée par quiconque, en toute liberté .   

    Fleurparger pour survivre ? Fleurparger pour survivre ?

    Les végétaux donnent l'exemple. Ainsi, sous le pont de la Liberté, si les Euphorbes sont chez elles, les graminées se mêlent, sans l’autorisation du jardinier, aux Iris domestiqués. Allez vous les en blâmer ? Urbaine par excellence, la Mauve s’invite partout : osez donc lui dire : reste chez toi sauvage, et garde tes distances... pour sauver la pelouse !

     

    Fleurparger pour survivre ?

    Le Bouillon blanc de Sicile s’épanouit sous le Mélia, fort occupé à se fabriquer de nouvelles branches, en prenant tout son temps, alors que les becs de grue fendent l’espace à toute vitesse pour coloniser la terre.

    Fleurparger pour survivre ?

    Fleurparger pour survivre ?

    Acanthe et punaise ont des tas de choses à se dire, et sans masque : elles ne craignent nullement la proximité, elles.

    Fleurparger pour survivre ?

    Mouron, Trèfle, Buplèvre, Vesce, et tant d’autres, avec lesquelles on fera connaissance une autre fois, quand on aura la permission, se pâment sous le soleil, exubérantes, expansionnistes, libres comme l’air, aussi belles que les roses auxquelles elles se mesurent en toute innocence, aussi joyeuses que les abeilles, aussi folâtres que les papillons.

    Fleurparger pour survivre ? Fleurparger pour survivre ?

    Et dans cet extraordinaire univers, tout n’est que joie, abondance et ingéniosité. Sauf pour nous, qui nous éteignons dans nos demeures .

     

    Alors, fleurpageons que diable ! Qu’attendons nous ? Les rhododendroves gyreront et gygembleront dans les vabes. Et nous frimerons vers les pétunioves et les momeraths engrabes. *Non ? Oui ?

    Fleurparger pour survivre ?

     

     

    * conjugaison de la traduction française tirée d’Alice au pays des merveilles, «Les rhododendroves Gyraient et gygemblaient dans les vabes On frimait vers les pétunioves et les momeraths engrabes.»


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    Facies Planctarum

     

    C'est en 1766 que la jolie ville de Limoux voit Marcellin Bonnet venir au monde. Chirurgien et pharmacien, il exerce à Carcassonne avant, plus tard, de devenir officier des douanes à Grasse.

     

    Il réalise son chef d'œuvre vers 1810, Le Facies Planctarum, que l'on pourrait traduire par "visage des plantes" et qui réunit des planches botaniques d'une telle vérité que l'on se demande encore comment elles ont été faites.

    la société d'études scientifiques de l'Aude déclare lors de l'acquisition du livre : "cet ouvrage nous montre un procédé pour la représentation des plantes absolument inconnu de nous"

    Il s'agit de plantes, apparemment peintes après pression de la plante originelle sur papier, car on peut y voir le relief de l'empreinte, comme dans la technique de la phytotypie que pratiquait Léonard de Vinci. 

    "C'est l'impression des plante à l'aide des plantes elles mêmes", dixit  Albert Tiberghien, spécialiste de cette méthode en 1931. 

    L'image est une empreinte végétale et son impression (le fait de l'avoir dessiné) est dite naturelle. Aucune machine n'intervient. 

      Facies Planctarum

    Chaque nervure, chaque feuille sont ainsi "décalquées" et peintes par Marcellin Bonnet pour obtenir des dessins absolument fidèles à l'identique. Aquarelle, peinture, mélange de couleur personnelle, on ignore tout de sa technique mais  on peut admirer  une rareté faite de minutie, de patience et aussi de contemplation.

    Il illustre ainsi une flore de bordeaux, ouvrage destiné à un Comte, une Histoire naturelle des feuilles et une flore bordelaise. 

    Il n' existe que 2 exemplaires du Facies Planctarum aujourd'hui. L'un se trouve à la BN de Paris, l'autre à celle de Carcassonne et se répartissent près de 400 planches.

    Marcellin Bonnet  est aussi l'auteur de "l'amour végétal, les noces des plantes", ouvrage écrit par un homme aimant les plantes et créateur d'un patrimoine hélas méconnu. (Le Facies Planctarum n'a fait l'objet d'aucune reproduction moderne).

    Un type bien sympathique ce Bonnet. On a comme l'impression de l'avoir connu !

    Et une belle idée à retenter pour faire des herbiers originaux et répertorier la flore locale.

    Facies Planctarum

     

     

    Sources images :

    planche bonnet : Livres et manuscrits rares

                                 Google images

    Pour les curieux, une classe de la BNF sur cette oeuvre , ici

     

     





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